Une banalisation de la sur-violence : retour sur la manifestation du 7 mars 2020 à Lyon

L’acte 69 des Gilets Jaunes appelé ce samedi 7 mars a été le théâtre d’un niveau de violence rarement vu auparavant en manifestation à Lyon ! Le bilan détaillé reste à établir avec l’aide des autres groupes médics et du collectif Surveillons-Les. Mais on dénombre à ce jour : – au moins quatre tirs de LBDs dans la tête, un tir dans la main ayant entraîné une perte de sensation dans deux doigts, plusieurs dizaines de tirs de LBD supplémentaires dans les membres inférieurs ou le torse, également plusieurs blessures similaires dues à des tirs tendus (nombre incertain à ce jour). Récapitulatif de cette journée par le collectif Médic’Action.

Ce samedi 7 mars (Acte 69) était l’occasion d’un appel national à Lyon, mêlant gilets jaunes, étudiant-es, précaires, retraité-es… etc. La manifestation avait été déposée mais la préfecture l’a finalement interdite l’avant-veille, ajoutant par ailleurs cinq périmètres d’interdiction de manifester dans Lyon, la place Bellecour n’en faisant pas partie.

À partir de 13h, les gens commencent à se rassembler, petit à petit. Comme d’habitude l’ambiance est légère mais personne ne peut ignorer l’impressionnant dispositif déjà en place : de nombreux camions et grilles anti-émeutes tout autour de la place et dans les rues adjacentes, et beau temps oblige, le retour du canon à eau, posté rue de la barre. Les street-médics sont très nombreux, plusieurs centaines de manifestant-e-s se rassemblent finalement.

A 14h, le cortège s’élance : après quelques hésitations, il se dirige rue Colonel Chambonnet, en direction des quais de Saône. Sans surprise, les forces de l’ordre se déploient. La tension monte rapidement, et quelques minutes plus tard les premières grenades lacrymogènes partent, certaines en tirs tendus. Les forces de l’ordre profitent alors du chaos pour tirer plusieurs LBDs et font mouche.

Il est 14h15, et déjà deux victimes sérieuses en plus de la pléthore de blessures légères : une personne touchée à la main et une autre (N., 16 ans) touchée à la tête.

Nous prenons en charge cette dernière avec l’aide d’autres équipes, et commençons la sécurisation et la prise en charge de celle-ci contre la statue centrale. La personne étant très sérieusement blessée (fracture de la mâchoire, dents cassées) et celle-ci étant au bord de la panique, nous déclenchons immédiatement l’appel au 15, qui ne décrochera qu’après plusieurs minutes d’attente, sans doute à cause des problématiques liées au coronavirus.

Rapidement une nouvelle charge nous oblige à bouger la personne sur 100m accompagné-es de ses proches et de quelques manifestant-es aidant à faire le périmètre de sécurité, au sud de la place. Nous étions visé-es explicitement par les LBDs de la BAC pendant une grande partie de cette intervention. Nous recevons alors un appel du dispatch des pompiers qui nous informe de leur incapacité à rentrer sur la place à cause des forces de l’ordre qui bloquent leur passage. Nous convenons avec les secours à défaut de mieux d’un rendez-vous rue de la barre (300 mètres plus loin), et exfiltrons enfin la victime non sans interférence par les CRS alors en place dans la rue. Au total, nous avons dû faire faire 400 mètres à une personne ayant potentiellement un traumatisme crânien (ce qui est à éviter dans une situation plus idéale), à cause du dispositif et des actions des forces de l’ordre.

Nos équipes de retour dans la manifestation, les blessures s’enchaînent sans relâche : de nombreux tirs de LBD et tirs tendus de lacrymo (principalement au Lanceur Multi Coup, conçu spécialement pour, a contrario des Lanceur COUGAR) ainsi que les habituelles détresses respiratoires. À peine nous finissons de gérer une personne qu’une autre est blessée. Toutes les équipes de street-médics sont débordées, mais travaillent ensemble, notamment en rassemblant les blessé-es dans des périmètres de sécurité communs.

Après quelques confrontations place Antonin Poncet et rue de la barre, une partie de la manifestation part rue Victor Hugo, poursuivie par la BAC. Les différents groupes reviennent alors petit à petit sur la place Bellecour. Après une pause, le temps pour les flics de « sécuriser » un feu rue Victor Hugo, le massacre méthodique reprend. Les tirs de lacrymo s’enchaînent quasiment sans interruption, le canon à eau entre en action et les blessures s’accumulent (hématomes suite à des tirs de grenades, tirs de LBD dans la cuisse). Les équipes de street-médics passent de blessé-es en blessé-es.


Aux alentours de 17h, une autre personne est touchée à la tête (17 ans, fracture de la mâchoire, joue trouée), côté rue de la barre.

Avec l’aide de manifestant-es, nous formons un cordon de sécurité autour des équipes qui commencent alors à le prendre en charge. Les proches de la personne alors présent-es sont en larmes, la foule très énervée et les forces de l’ordre toujours menaçantes. Cette fois-ci les pompiers réussissent à rentrer sur la place, menant à un léger répit. La victime évacuée, le canon à eau se remet en action : celui tire à plusieurs reprises sur nos équipes ainsi que les autres street-médics alors en pleine prise en charge de victimes.

La manifestation finit par décaler au sud de Bellecour à la suite des charges régulières. Alors que nous prenons en charge une personne légèrement blessée au pied suite à un tir de LBD et que d’autres s’occupent d’une personne sérieusement blessée à la rotule contre l’office de tourisme, la BAC positionnée au sud-est commence à remonter dans notre direction. Les lacrymos fusent déjà. Nous voyons quelques uns de leurs éléments s’approcher de l’autre équipe, et sembler analyser la situation. En voyant le blessé, les bacqueux chargent soudainement l’autre équipe de street-médics, poussant celle-ci ainsi que la victime contre leurs boucliers. Ils finissent par interpeller la victime, la traînant au sol sur plusieurs mètres. De très nombreuses lacrymos retombent à nos pied, et la BAC s’en prend alors à nous.

Nous déplaçons in extremis la personne, aux côtés de l’autre équipe elle aussi très secouée. Il nous faut plusieurs minutes pour nous remettre des gaz, malgré notre équipement. Nous rejoignons ensuite un périmètre de sécurité qui semble s’être formé en face de la rue Victor Hugo pour aider : il s’agit d’un camarade street-médic qui a été touché à la tête. Une fois celui-ci évacué, nous décidons de quitter la manifestation, secoué-es par plusieurs heures de violences policières. Il est 18h.

Le bilan détaillé reste à établir avec l’aide des autres groupes médics et du collectif Surveillons-Les. Mais on dénombre à ce jour :

- au moins quatre tirs de LBDs dans la tête ;
- un tir dans la main ayant entraîné une perte de sensation dans deux doigts ;
- plusieurs dizaines de tirs de LBD supplémentaires dans les membres inférieurs ou le torse ;
- également plusieurs blessures similaires dues à des tirs tendus (nombre incertain à ce jour).

Le tout ayant aboutis à trois (une quatrième reste à confirmer) extractions par les pompiers et à plusieurs dizaines de personnes blessées sérieusement (ou tout du moins ayant pu être prises en charge).

Il ne s’agit là que du compte-rendu de nos équipes, qui ne constitue qu’une partie du chaos généralisé provoqué par le dispositif policier. Un compte-rendu plus détaillé construit avec l’aide d’autres collectifs est en cours de rédaction.

Il ne serait pas constructif de pointer du doigt les nombreux manquements au règlement des forces de l’ordre (RIOs absents, tirs à la tête, sommations à peine prononcées) : cela sous-entendrait qu’il y aurait une bonne et une mauvaise manière de réprimer. Il ne serait pas non plus constructif de délibérer sur qui des policiers ou des manifestant-es ont commencé : l’écart de violence, aussi bien en terme de nature que de degré est abyssal, et les raisons des violences des un-es difficilement comparables à celles des autres.

Nous soulignons en revanche une énième fois le travail de sape méthodique du mouvement social par le gouvernement et ses milices. Samedi en fut une de ses plus frappantes représentations dans le cadre des contestations lyonnaises. Pendant que les représentants communiquent sur leur soit-disant irréprochabilité et transparence (tout en niant le concept même de « violence policière »), leur milice redouble d’inventivité pour meurtrir aussi bien les corps que les esprits.

Ce qui s’est joué ce samedi 7 mars, et qu’un simple inventaire de leurs armes ne montrerait pas, c’est tout le vice de leurs tactiques : les nasses qui bloquent l’arrivée des secours, les accusations reposant sur des raisonnement circulaires (« si vous êtes là, vous êtes coupables, si vous êtes coupables, vous méritiez les coups »), l’arrestation violente de personnes déjà blessées, la guerre psychologique par des charges provoquant volontairement des mouvements de foule, etc. Il y a volonté de faire peur, de traumatiser. Marquer les chairs et faire des « exemples ». Il ne s’agit pas là d’un effet collatéral ou même un but secondaire. L’entièreté de leurs stratégies et de leurs équipements sont construits dans ce but là. Rien de nouveau en soi : mais force est de constater que les moyens mis en place dans ce but sont toujours plus importants et diversifiés.

Ce broyage méthodique ne se limite, ni n’a commencé avec les manifestations : il a lieu avant toute chose de manière régulière dans les banlieues et en france non-métropolitaine (DROMCOM), comme en témoigne la mort récente d’un nourrisson à Mayotte à cause de gaz lacrymogènes, où les « bavures » policières sont depuis longtemps quotidiennes.

Nous pointons enfin du doigt les média qui, à quelques exceptions près, ont surtout évoqué les blessés côté flics, sans mention de leur gravité ou de leurs causes et repris les informations tronquées de la préfecture comme argent comptant.

Nos blessé-es ne valent pas vos images de banques caillassées ?

Les derniers événements de ce Week-end à Lyon —auxquels s’ajoutent les violences à l’encontre des marches féministe à Nantes et Paris— ne nous démotivent pas. Nous sommes, une fois de plus, écoeuré-es mais pas surpris-es, en rage mais déterminé-es.

La lutte continue.