Gérer le risque post-psychologique
Contents
- Avertissements généraux
- Qu’est ce qu’être « Street-médic »
- Devenir street-medic
- Cadre légal des street-médics
- Le consentement
- S’équiper
- Les équipements de soins
- Se former
- S’organiser
- Communiquer
- Gérer une foule
- Prise en charge d’une personne blessée
- Faire un bilan
- Relevage et brancardage
- Soigner
- Premiers-secours psy
- Conseils préliminaires
- Conseils légaux
- Les protections
- Les flics
- Les armes des flics
- Se placer et se déplacer
- Les lacrymogènes
- Gérer les « lacrymos »
- Gérer le risque post-lacrymo
- Gérer le risque post-blessure
- Gérer le risque post-psychologique
- Gérer le risque post-acouphène
- Faire une auto-formation
- Aller au delà
L’impact psychologique des violences policières, subites ou en tant que témoin n’est pas à négliger. Les manifestations par exemple sont des contextes de stress énorme : bruits, foule compacte, mauvaise circulation de l’information, odeurs des lacrymos, mouvements de panique, etc. La décompensation dans l’après peut être très forte et laisser des séquelles.
Facteurs de risques
La gestion des manifestations opérée par l’État français est faite dans une volonté de faire déraper la manifestation. Toutes les conditions sont réunies pour créer une situation de stress pour les manifestant-es : nasse, murs de CRS, gaz lacrymogènes, bruits, isolation d’une partie des manifestant-es, coups portés aux plus vulnérables, etc. Tout est fait pour vous avoir à l’usure et que vous ne reveniez pas aux prochaines manifestations. S’ajoute à cela le stress déclenché par la présence d’une foule compacte, et d’un risque de panique collective, ainsi que la peur engendrée de base par la présence du bras armé de l’État. Qui plus est, les violences policières pratiquées par les criminels en uniforme peuvent être à l’origine de véritables traumatismes persistants. Il est donc capital de prendre en compte la dimension psychologique des soins post manif’.
Premiers soins
Tout d’abord, vous devez apprendre à reconnaître une attaque de panique. Si vous présentez les symptômes suivants :
- Rythme cardiaque irrégulier ;
- Vertiges ;
- Souffle court ;
- Sensation d’étouffement et nausées ;
- Tremblements et transpiration ;
- Fatigue et faiblesse ;
- Douleur à la poitrine, brûlures d’estomac ;
- Spasmes musculaires ;
- Bouffées de chaleur ou frissons ;
- Picotements au bout de vos mains ou de vos pieds
- Peur de mourir ou d’être gravement malade.
Vous êtes en train de faire une attaque de panique. Appelez quelqu’un à l’aide, captez l’attention de quelqu’un et demandez-lui de vous isoler autant que possible dans un endroit calme. N’hésitez pas à appeler directement une personne en la désignant formellement, afin qu’elle prête attention à vous. Ne restez pas seul-e. Utilisez des techniques de cohérence cardiaque pour apaiser votre cœur :
- Calmez votre respiration. Placez une main sur le haut de votre poitrine, et l’autre sur votre diaphragme (là où la cage thoracique rejoint l’estomac) ;
- Inspirez lentement et profondément par le nez en comptant jusqu’à cinq. Votre main sur votre poitrine doit rester immobile tandis que celle sur votre diaphragme doit se soulever sous votre inspiration. Cela vous permet de savoir que vous inspirez le plus profondément possible ;
- À cinq, expirez lentement par le nez, à la même vitesse. Concentrez-vous sur vos mains et sur le compte pour garder ou rétablir votre calme. Continuez ces respirations jusqu’à ce que vous vous sentiez calmé.e ;
- Détendez vos muscles. Trouvez une position confortable pour vous asseoir ou vous coucher ;
- Fermez vos yeux et commencez à vous concentrer sur vos orteils. Repliez-les fermement en comptant jusqu’à cinq, puis relâchez la tension ;
- Ensuite concentrez-vous sur vos pieds. De même, contractez tous les muscles de vos pieds fermement en comptant jusqu’à 5, puis relâchez la tension ;
- Continuez ainsi sur tout votre corps, en isolant chaque groupe de muscles. Les mollets, les cuisses, les fesses, l’estomac, la poitrine, les épaules, le cou, les doigts, les mains, les bras, jusqu’à votre visage ;
- Lorsque vous serez rendu.e à votre visage, vous devriez vous sentir bien plus calme.
Suivi
Si vous avez fait une attaque de panique ou que vous vous sentez fébrile après, vous pouvez appliquer la procédure de suivi des traumas afin de vous préserver psychologiquement :
- Ne vous isolez pas : restez en compagnie de vos ami-es, faîtes quelque chose : allez boire un verre, promenez-vous, rentrez chez vous mais ne restez pas seul-e ;
- Demandez de l’aide : si vous sentez que vous n’arriverez pas à gérer le stress seul-e demandez à vos proches ou à un.e professionnel.le de santé de vous aider ;
- Participez à des activités sociales : il y a une discussion après ? Votre groupe va se poser au parc ? Participez à ces activités qui vous permettront de rester en contact avec la réalité ;
- Portez-vous volontaire : aider les autres peut permettre de se rappeler vos forces et de garder les pieds sur terre. A faire uniquement si vous êtes en état d’aider les autres ;
- Parlez avec vos ami-es, ou toute personne de confiance et compréhensive, de ce que vous ressentez et ce que vous avez vécu. Partager cette expérience permet non seulement de se rendre compte qu’on n’est pas seul-e à l’avoir endurée, et cela peut permettre de prendre un peu de recul sur ce qu’il a pu se passer. De plus, cela peut renforcer les liens de protection mutuelle entre vous et vos proches.
- Mettez en place une routine : la mise en place d’une routine après un événement stressant permet de s’y raccrocher en cas de perte de contact avec la réalité. Elle permet de vous rappeler qui vous êtes ;
- Prenez en compte vos émotions : ressentir de la peur, de l’inquiétude, de la tristesse, etc. sont des choses normales. Prenez en compte vos sentiments pour mieux les gérer ;
- Prenez soin de vous : reposez-vous, mangez bien, buvez beaucoup d’eau, prenez une douche. Veiller à votre intégrité physique vous aidera à préserver votre intégrité psychologique ;
- Évitez l’alcool ou les psychotropes : c’est une solution tentante après une situation de stress, mais l’alcool et les drogues peuvent mener vers des comportements auto-destructeurs à long terme. A court terme, altérer son jugement après un choc risque d’aggraver l’état de stress dans lequel vous vous trouvez dans la mesure où votre appareil psychique ne sera pas en mesure de faire son travail de réparation des éléments traumatiques dus au choc. ;
- Apprenez des techniques de relaxation : cohérence respiratoire, auto massage, méditation. Ces techniques vous permettront de vous calmer et de rationaliser vos pensées.
Si dans les jours qui suivent vous faîtes l’expérience des symptômes suivants :
- Etat d’anxiété ;
- Nausées ;
- Cauchemars ;
- Pensées entêtantes et envahissantes ;
- Désir de prendre des risques, obsession pour les états intenses dans lesquels le danger vous a mis-e ;
- Dépression.
Il se peut que vous soyez traumatisé-e par l’évènement que vous avez vécu. Cela paraît incroyable, être traumatisé-e en manifestation par exemple, mais cela peut arriver et doit être pris au sérieux. Un trauma peut se former sur le long terme et n’implique pas nécessairement un évènement unique. Il existe des facteurs de risques : avoir été témoin d’une blessure, avoir subi une blessure, déjà souffrir d’un trauma etc. Si vous êtes en état de choc traumatique, nous ne saurions vous conseiller meilleure solution que de voir un-e thérapeute. Vous n’êtes pas obligé-e de voir un psychiatre (même si celleux-ci sont les seul-es à être remboursé-es par la sécu). Vous pouvez vous rendre dans une structure spécialisée, faire appel à un.e thérapeute cognitif.ve, etc.
Syndrome de Stress Post-Traumatique (SSPT)
Le syndrome de stress post traumatique (ou Post-Traumatic Stress Syndrome, PTSD en anglais) est malheureusement encore mal abordé dans les milieux militants. Celui-ci ne désigne en vérité pas un événement dit « traumatique » mais bien ses conséquences sur la personne.
Contrairement à la croyance populaire, il n’est pas nécessairement créé par un événement intense unique : il peut être le résultat d’une exposition prolongé à des situations relativement stressante, et même à une exposition à des violences faites à d’autres, comme dans les activités dans le social, le soin, etc (on parle alors de traumatisme vicariant). Une situation « traumatogène » peut sembler ne pas avoir d’effet particulier sur le moment mais déclencher un SSPT à posteriori.
Néanmoins la plupart du temps, ces situations se caractérise par un état de sidération, d’impuissance, de pilote automatique ; le résultat général étant l’impression d’être éjecté de la réalité consensuelle et d’observer de l’extérieur, voire ne plus être là.
Dans tous les cas et sur le long terme, la solution est un accompagnement, par les proches et/ou des professionnels.
Soins immédiats : le defusing
L’objectif est d’assurer à la personne que l’on répond à ses besoins vitaux. si vous ne connaissez pas la personne, présentez-vous. Le but est d’avoir une posture empathique, centrée sur ces besoin faisant de vous et des autre aidantxs des personnes ressources qui lui garantissent un cocon sécurisé.
- Isolez la personne en état de choc et assurez-lui un endroit calme et serein où elle se sentira protégée. Dites-lui ce que vous êtes en train de faire, attention au toucher en particulier, vous ne connaissez pas l’historique traumatique de cette personne, quand bien même vous la connaissez déjà;
- Couvrez la personne en attendant qu’elle se calme, aidez-la à respirer;
- Offrez-lui à boire et à manger;
- Restaurez petit à petit la parole avec la personne, rassurez-la, indiquez-lui qu’elle est en sécurité;
- Tentez d’instaurer un dialogue pour ramener la personne à la réalité. Si le dialogue est possible à ce moment, demandez à la personne d’essayer de formuler ses besoins dans l’instant et cherchez des solutions ensemble, en passant par des questions fermées (oui/non). Le sentiment de dépendance immédiate à l’aide d’un tiers peut être compliqué à supporter. Quand c’est possible, la personne que vous aidez doit être au centre des décisions prises la concernant pour minimiser ensuite ses ressentis d’impuissance. Cela peut conditionner sa capacité à prendre soin d’elle par la suite.
- N’essentialisez pas la personne à sa blessure
- Demandez-lui si elle veut en parler
La clef étant d’avoir une démarche empathique qui sécurise la personne, en dirigeant partiellement la personne tout en lui laissant le choix, afin de lui limiter la charge mentale tout en répondant à ses besoins.
Soulignez que vous reconnaissez ses ressentis. Soyez pro-actifxs sur l’intérêt que vous portez à ce qu’il s’est passé. Rappelez lui-régulièrement qu’elle est désormais en sécurité, que c’est fini. Resituez la personne dans l’espace et le temps : « on est dans le local de la lutte, demain c’est le week-end »
Attention :
- Votre rôle est donc d’apporter un soutien à la personne mais si la situation est hors de votre contrôle, n’hésitez pas à demander de l’aide ;
- Une personne en état de choc est relativement imprévisible, ne forcez pas la personne à vous parler si elle ne le souhaite pas, ne la forcez pas à boire, mangez ou quoi que ce soit. Ne la touchez pas sans son consentement. Vous devez laisser la personne reprendre le contrôle de son corps et son esprit, vous devez l’aider dans cette reprise en main, pas l’infantiliser.
- Faites attention à vous même, surtout si vous étiez aussi dans la situation traumatogène. Il ne s’agit pas de vous mettre aussi en état de détresse.
aussi étonnant que cela puisse paraître, il existe de nombreuses recherches sur le fait que jouer à Tetris (https://www.ox.ac.uk/news/2017-03-28-tetris-used-prevent-post-traumatic-stress-symptoms) ou tout autre jeu de rangement simple et logique) aide au process d’événements traumatiques dans le post-immédiat.
À ce stade, la personne est très influençable et donc vulnérable. Attention à ce que vous dites ainsi qu’aux médias et réseaux sociaux.
Soins post-immédiats : le débriefing
Une fois le choc passé (parfois quelques jours plus tard), le débriefing permet d’évacuer le choc et les émotions qui y sont liées. Chacun.e est invité.e à parler de ses émotions, de sa perception de l’événement. L’objectif est de raconter ce que l’on a vécu, comment on l’a vécu, comment l’ont vécu les autres. Il est important que cet échange se déroule dans la bienveillance, quand bien même les vécus et les analyses de la situation diffèrent beaucoup d’une personne à l’autre. Ce qui va compter dans ce moment c’est la capacité à reprendre du pouvoir sur une situation subie et de parvenir à la formuler, à ne pas rester sidéré-e. Cela a plusieurs intérêts : se rappeler qu’on n’est pas seul-e face à l’angoisse, mettre des mots sur ce que l’on vit mais aussi identifier les personnes les plus marquées par ces événements. Car si pour certain-es, le stress finit par partir sans laisser de séquelles sur le long terme, pour d’autres, l’impact psychologique est nettement plus grave. Si vous pensez qu’un-e camarade a développé un état de choc traumatique, nous ne saurions vous conseiller meilleure solution que de l’accompagner vers un-e professionnel-le de santé afin de prendre ceci en charge.
Le meilleur moyen de contrer ces effets reste de reconstruire une chronologie commune des événements : ça permet de se resituer dans l’espace et le temps. Si une personne galère à se rappeler, essayez de lui faire dérouler une chronologie à l’envers en partant de la fin : cela peut permettre d’isoler la charge émotionnelle et de bypass la tendance de la mémoire à se dérouler toute seule en omettant des détails.
Une meilleure gestion des risques psy ?
Les maladies et troubles psychiatriques sont trop sous-estimés dans le milieu militant. Il est dramatique qu’un milieu qui soit source d’autant de stress et de frustrations ne dispose pas de véritables outils pour se préserver psychologiquement. Il est scandaleux que nous ne fassions pas le lien entre les blessures physiques, la peur engendrée par les violences et la précarité psychologique dans nos milieux. Il existe des initiatives qui prennent en charge les personnes en état de choc dans l’après. En attendant de pouvoir développer une structure similaire sur Lyon, via Médic’Action et dans les autres villes de France où cela est nécessaire, nous vous proposons une gestion de groupes des suivis traumatiques.
Notes et références
https://psychcentral.com/lib/tips-to-cope-with-a-panic-attack/3
http://www.counselling-directory.org.uk/trauma.html#treatments
http://traumapsy.com/LES-DIFFERENTES-PHASES-DE-LA.htm
Aider une personne qui fait une crise d’angoisse ou un shutdown en manif sur Rebellyon
Trauma et blessures (https://web.archive.org/web/20240617225348/https://www.bassinesnonmerci.fr/wp-content/uploads/2023/03/Trauma-et-blessures-V3-mis-en-page.pdf), sur le site de Bassines Non merci (archive, pdf)
L’ intervention psychologique immédiate ou defusing (http://www.eveil-formation.com/IMG/pdf/defusing.pdf), Philippe Lhuillier
Computer Game Play Reduces Intrusive Memories of Experimental Trauma via Reconsolidation-Update Mechanisms (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4526368/), Ella L. James, Michael B. Bonsall, et al